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Récit de mon recrutement

À destination de celles et ceux qui souhaitent se lancer dans le concours crcn du cnrs

Préambule

J’écris ce texte pour combler la frustration de ne pas avoir pu lire les récits d’ancien·nes lauréat·es à l’époque où j’étais moi même candidat. À titre personnel, j’ai vécu ce concours comme un die and retry où j’apprenais dans la douleur, c’est-à-dire en échouant. De tels récits auraient pourtant pu m’aider à démystifier plus rapidement le système de recrutement du cnrs et à surmonter plus facilement les déconvenues qui s’accumulaient. Voilà pourquoi je souhaite aujourd’hui partager mon expérience avec les futur·es candidat·es et essayer d’en tirer quelques enseignements. Mais je tiens à préciser que mon récit n’a pas vocation a être lu comme un guide exhaustif ou une recette infaillible — d’ailleurs je ne crois pas qu’un tel guide puisse exister. En effet, chaque chercheur·euse aura une histoire différente à raconter sur sa titularisation. Je ne parlerai donc que de ce que j’ai connu, à savoir : les commissions interdisciplinaires 53 et 54. Je mets ce texte à disposition de tous·tes sans savoir qui le lira. Certain·es trouveront peut être mes conseils évidents, inutiles ou mauvais. Ainsi soit-il. Je n’argumenterai pas : ce qui n’est pas intéressant pour une personne le sera peut être pour une autre. À nouveau, mes conseils découlent de ma seule expérience, ni plus ni moins. Libre à chacun·e d’y trouver valeur d’exemple ou non. Et, pour commencer, on va se tutoyer.

Mes cinq tentatives

J’ai tenté le concours crcn à cinq reprises. Je n’ai jamais candidaté sur des postes spéciaux ou ultra fléchés mais toujours sur des concours généraux, c’est-à-dire un ratio de 60 à 80 candidat·es pour 3 ou 4 postes en CID 54 et 150 à 180 candidat·es pour 2 ou 3 postes en CID 53. Ma première tentative en 2021 s’est soldée par un double échec. L’année suivante, j’ai été auditionné par la CID 54 mais sans être classé. En 2023, c’est la CID 53 qui m’a auditionné mais, là encore, sans me classer. En 2024, après un post doc d’un an à Berlin, j’ai à nouveau été auditionné par la CID 53 et classé quatrième, mais il n’y avait que trois postes ouverts cette année là … J’ai donc retenté ma chance en 2025. La CID 53 m’a alors classé deuxième et j’ai enfin pu être recruté. À chaque fois, je ne connaissais personne dans le jury et je crois avoir toujours incarné une voix minoritaire face aux disciplines d’appartenance des évaluateur·rices.

Quand se lancer ? Faut-il persévérer ? Quand arrêter ?

Tu peux te lancer directement après ta thèse ou attendre d’avoir pris de l’expérience. À ma connaissance, il n’y a pas de règle explicite à ce sujet. Moi, je me suis décidé après deux ans de post-doc. L’idée principale c’est de te lancer dès que tu seras prêt·e à proposer un projet sérieux au cnrs (on y reviendra) mais surtout de te lancer dès que tu seras prêt·e à défendre ce projet pendant plusieurs années. Car, oui, c’est un processus long et pénible dans lequel tu t’apprêtes à plonger et, malheureusement, tu ne seras certainement pas recruté·e la première année. Du coup, commence par considérer la première tentative comme un galop d’essai, autant pour toi que pour le cnrs. Tu découvriras à cette occasion que l’écriture du dossier est une chose laborieuse et qu’il est très désagréable de s’y atteler entre Noël et l’An. Mais, l’année d’après, tu pourras t’organiser pour commencer plus tôt en reprenant des éléments de ton précédent dossier. Par ailleurs, ce n’est pas grave si tu n’es pas recruté·e les premières années car ce concours n’a pas de nombre limite d’essais. J’en suis la preuve vivante. En revanche, c’est un concours qui a de la mémoire d’autant plus si tu atteins les auditions. Le jury s’attendra alors à ce que d’une année à l’autre tu améliores ton projet. C’est une sorte de contrat tacite : si tu reviens, tu t’engages à avoir retravaillé ta proposition. Je t’encourage d’ailleurs à écrire au/à la président·e du jury pour obtenir des retours sur ta candidature après la clôture officielle du concours en juillet — tu as le droit d’accéder au procès verbal de ton audition. Tu pourras y trouver ce qui a plu ou déplu au jury et te servir de ça comme base d’amélioration pour l’année d’après. En plus, ça enverra un bon signal aux examinateur·ices. Pour finir, je te conseille de te fixer un nombre limite de tentatives, juste pour toi, pour ne pas devenir fou/folle. Et je te conseille aussi de t’interroger entre chaque tentative, de te sonder, pour vérifier que ce concours et les échecs qui vont avec ne t’abîment pas trop — toi ou tes proches. Moi, je m’étais fixé quatre tentatives, mais ma quatrième place en 2024 m’a convaincu (après discussions avec mes proches) d’y retourner une dernière fois.

Les laboratoires soutiens

Ne te lance pas seul dans ce concours. Dès septembre / octobre, contacte les laboratoires qui te semblent être de bons endroits pour accueillir ton projet de recherche et fais toi connaître de leurs directeur·ices. Certains laboratoires organisent même à cette occasion une pré-sélection des candidat·es qu’ils coacheront pendant toute la durée du concours. Ce sont des soutiens précieux que tu ne dois pas négliger notamment lorsqu’arriveront les auditions. Tu peux ainsi être soutenu par deux voire trois laboratoires.

CV et rapport sur travaux

Ces deux documents sont les plus factuels que tu devras fournir. Ton CV, pour commencer, doit être clair, structuré et complet. Mets en avant les prix, les bourses, les séjours de recherche à l’étranger. Fais le récapitulatif des concours dans lesquels tu as déjà été classé·e. Il peut aussi être utile d’ajouter un petit blob de texte avant ta liste de publications pour expliciter les pratiques propres à ton domaine : par exemple, pour moi, en informatique, il n’est pas courant d’écrire des ouvrages, en revanche les conférences à l’international comptent beaucoup. Pour le rapport, il peut être utile dans un premier temps d’aller lire le dernier bilan d’activités de la section dans laquelle tu te présentes. Tu y trouveras des verbatims ou des mots clés que tu pourras ensuite distiller dans ton document afin de montrer que ta candidature n’est pas hors sujet, que tu es au bon endroit. Ce rapport, donc, doit reprendre de manière chronologique, thématique ou méthodologique (tu choisis ce qui est le plus pertinent pour toi) l’ensemble de tes travaux, thèse comprise. Mais ce n’est pas non plus une bête compilation de tes papiers. C’est aussi un exercice de synthèse de toi même, un travail réflexif à partir duquel tu peux construire une forme de narration et mettre en avant ce qui fait ton identité de chercheur·euse. Enfin, dans ce rapport, tu peux ajouter une section qui amorce ton projet de recherche si, par exemple, tu as déjà publié des travaux directement liés à ce que tu comptes faire une fois recruté·e. Cela montrera que tu es déjà au travail.

Le projet

Écrire son projet de recherche est un exercice de contorsionnisme : il s’agit de résumer ce que tu comptes faire au cnrs pendant les trente prochaines années en moins de dix pages. Ton texte doit donc être à la fois concis et ambitieux. D’un point de vue académique, il faut voir les choses en grand : ce n’est ni un post-doc de deux ans ni même une cpj de quatre ans que tu dois écrire. Pour commencer, je te conseille de convoquer l’enfant qui sommeille en toi et de lui demander ce qu’il/elle rêverait de faire s’il/elle était pris au cnrs. Ne le/la censure pas et pars de ce souffle pour écrire un projet original, personnel, qui te fasse vibrer scientifiquement et qui résonne avec ton époque. Ton projet peut prolonger ce que tu as fait dans ta thèse ou dans tes post-docs, mais il peut aussi choisir d’emprunter une voie totalement nouvelle pour toi. Au final, cela n’a pas d’importance. Ce qui compte c’est que l’on puisse y déceler ta vision de chercheur·euse à moyen et long terme. Sur quel sujet de recherche le cnrs doit-il absolument se positionner, à travers toi, pour les prochaines années ? Identifier cette vision n’est pas une chose aisée : en ce qui me concerne, il m’a fallu deux ans pour sortir du style post-doc, pour trouver la bonne idée par rapport à mes travaux (étudier la morphogenèse du web) et surtout pour oser la porter et la défendre — en gros, à partir du moment où la CID 53 a commencé à m’auditionner. Quand tu auras à ton tour trouvé cette belle idée, tu pourras alors retourner à la table d’écriture et lui passer une bonne couche de rigueur, de sérieux et de réalisme. Il s’agira alors de préciser ta pensée et de la rendre évidente. Utilise un style direct et évite les grandes phrases. Trouve le bon endroit entre généralités et détails. Puis, positionne ton projet vis à vis de l’état de l’art et démontre que tes questions ne s’épuiseront pas au bout de dix ans. Définis de grands axes de recherche, identifie tes futurs terrains d’enquêtes et décris la manière avec laquelle tu comptes opérationnaliser tout ça (un peu de concret ne fait pas de mal). Montre également que tu connais la maison et les bonnes communautés. Sans tomber dans le name dropping outrancier, distille ici ou là les laboratoires, les structures, les institutions et les acteur·ices privés / publics / associatifs qui seront impliqués dans ton projet. Montre au jury que tu es prêt·e à lancer tes recherches dès que tu seras recruté·e et montre leur que le cnrs peut miser sans crainte sur toi.

À propos du jury

Si ton projet passe la sélection sur dossier alors tu seras invité·e à participer aux auditions. Donc, déjà, bravo ! C’est une victoire que d’être auditionné·e ! Et si tu en arrives à ce stade, on t’aura certainement dit qu’il faut analyser un à un le profil des membres du jury pour essayer d’anticiper leurs questions. Je n’ai jamais vraiment été de cette école ... Je ne pense pas qu’il faille descendre à ce niveau de zoom : ça essentialise les collègues et ça les réduit à leurs sujets de recherche. En revanche, pour des commissions interdisciplinaires, il est intéressant d’analyser l’équilibre général des disciplines au sein du jury afin de comprendre quel rapport de force tu devras affronter : ton projet incarne-t-il une voix marginale, minoritaire ou plutôt consensuelle ? Cela te permettra de définir certaines grandes lignes de ta présentation — et c’est déjà pas mal. Non, le plus important pour moi c’est de bien comprendre que le jury doit tenir la barre d’un concours qui s’inscrit dans un régime de pénurie de postes : il y a trop de bon·nes candidat·es pour trop peu de postes. La pression devient maximale quand arrive le moment d’attribuer ou non un poste à quelqu’un·e et la plus grande peur du jury (je pense) est de se tromper. Les postes ouverts sont trop précieux pour laisser place au doute. Voilà pourquoi ton principal travail sera de les rassurer lors de l’audition. Il te faudra effacer le moindre doute susceptible de planer sur ta candidature ou sur ta capacité à prendre ce poste, et ce, aussi génial que soit ton projet. Cette remarque m’amène enfin à te rappeler une chose simple (peut être naïve, mais j’aime à croire que cela joue) : les membres du jury sont aussi tes futur·es collègues et ils sont là pour recruter quelqu’un·e avec qui ils/elles prendront plaisir à travailler. Donc, sois sympa, laisse ton égo de côté et ne prend personne de haut car toutes celles et tous ceux qui sont auditionné·es en même temps que toi méritent le poste tout autant que toi.

L’audition

L’audition est tout à la fois un sprint et un marathon : tu t’entraînes des jours en avance et ça passe en un éclair : 30 minutes, questions comprises. Le jury, lui, va enchaîner ces auditions pendant 1, 2 voire 3 jours. Donc, je te conseille à nouveau de rester simple et clair·e que ce soit dans tes slides ou dans ton discours. Ne prépare pas trop de slides, vise une slide par minute et une ou deux idées par slide. Limite les grandes plâtrées de texte mais ne tombe pas non plus dans la slide marketing bêtement illustrative. Chaque slide doit avoir une fonction par rapport à ton discours. N’improvise pas ton discours car le jour j, quelle que soit ton aisance à l’oral, tu trembleras, tu bégayeras, tu seras stressé·e. Écris-le et apprend-le par cœur. L’idée c’est que, lors de l’audition, ce discours soit un non-événement pour toi, une simple formalité. Récite-le sous la douche, devant ton chien, rapidement, lentement, avec une voix bien conne ou hyper sérieuse. Bref, débrouille toi mais intègre le. Car, une fois ton discours terminé, tu auras face à toi 15 personnes prêtes à dégainer leurs questions et c’est là que tu devras être à 100 % de tes capacités. L’enjeu de cette dernière épreuve est simple : répondre au plus de questions possibles de la manière la plus pertinente qui soit. Pour y arriver, il va falloir s’entraîner et enchaîner les répétitions (présentation + séance de questions réponses). Commence deux ou trois semaines avant ton audition, c’est-à-dire pas trop en avance pour ne pas t’épuiser non plus. Et là c’est le moment d’écrire à tous tes contacts – genre vraiment tout le monde – famille, ami·es, collègues, collègues de collègues, etc. Tu dois impliquer toutes ces personnes dans ce processus car tu vas avoir besoin de leur aide. Il faut que, quelque soit l’auditeur·ice, ta présentation soit toujours convaincante. Moi, après chaque répétition, je notais toutes les questions que l’on m’avait posées sur des petits papiers. Et au fil des jours ma pile de questions grossissait. Puis, chaque matin, au café, je me tirais deux ou trois questions au hasard et j’y répondais. Comme ça le jour de l’audition, j’arrivais avec plusieurs réponses déjà prêtes — et sois certain·e que parmi toutes les questions que tu auras balayées pendant tes répétitions plusieurs reviendront à l’audition. Par ailleurs, entraîne toi à être efficace : répond aux questions en deux ou trois phrases max’ et apprend à couper court si tu sens que ta réponse dérive et s’allonge. Moi, ça m’aidait d’écrire les questions sur une feuille de papier avant de parler, ça me donnait quelques secondes de respiration pour préparer ma réponse. Enfin, tu peux la jouer collectif et t’organiser avec les autres personnes qui passent l’audition pour vous entraîner ensemble (certains laboratoires soutiens proposent des répétitions collectives par exemple). De toute manière, il n’y a pas de raison d’affronter cette galère seul·e. Et, comme tout le monde à un projet différent, il n’y a pas vraiment de risque de plagiat. Tu verras que c’est très formateur de voir comment les autres s’y prennent. Eux/elles aussi sont tes futur·es collègues et cette audition peut être l’occasion de créer un beau réseau de solidarité.

Si tu es pris·e

Joie !

Si tu n’as pas été pris·e ...

Félicite toi quand même. Dis toi que 1000 paramètres ne dépendant pas de toi rentrent en jeu lors de ces recrutements. Et, si tu le sens, reprend tranquillement ton dossier après l’été, après une bonne pause. Achète un petit carnet et note des idées d’améliorations. Demande des retours au/à la président·e du jury et affine ta proposition, radicalise ton projet. Ne le rend pas plus complexe mais plus simple — le miens est passé de 13 pages (sans biblio) à 9 pages (biblio comprise) en 5 ans. Enfin, dis toi que ce n’est globalement pas du travail de perdu car ton projet peut être réutilisé pour une cpj ou pour candidater dans un autre organisme de recherche ou sur un poste de mdc, de prof, etc.

Force à toi collègue !